Le mot « artisan » est un mot chargé d'histoire

Chargé de sens, d'émotion, de valeurs.

Certes, il sert quelques fois à désigner un travail approximatif, « un travail d'amateur », mais, plus généralement, il est utilisé pour désigner l'expertise la plus élaborée et la plus noble, dans une démarche globale d'excellence. Il est assez symptomatique, par exemple, que de grands chirurgiens, à la suite d'une opération particulièrement délicate, résument ainsi, très modestement, leur intervention : « J'ai fait un travail d'artisan. »

En ce début 2016, ne pourrions-nous pas nous souhaiter d'être tous, à des titres divers, des artisans ? De rechercher ainsi un état d'esprit dont on a la faiblesse de croire qu'il ferait avancer la société dans le bon sens ?

Pourquoi ? D'abord, parce qu'être artisan c'est être dans l'action. Dans le faire. Nul ne saurait contester l'idée que c'est en se coltinant à la réalité des choses que l'on en comprend mieux la faisabilité et la difficulté et que l'on se donne les moyens de prendre les bonnes décisions.

Un fossé trop important s'est creusé entre ceux qui pensent et ceux qui font, entre la théorie et la pratique, alors que c'est précisément une judicieuse combinaison des deux qui est la source de progrès et de performance

Ensuite, être artisan c'est donner du sens au travail et c'est accéder au désir du travail bien fait. Un boulanger veut faire du bon pain parce qu'il connaît les gens qui vont le manger ; un maçon veut faire une belle maison parce qu'il connaît les personnes qui vont l'habiter. Le désir d'un travail bien fait trouve sa justification, bien sûr dans une démarche économique et commerciale, mais aussi dans une recherche gratifiante de faire du bel ouvrage au bénéfice des autres et d'en retirer une certaine fierté.

C'est cela, être artisan en 2016. C'est aussi mener une action militante pour passer d'une société du jetable à une société du durable. N'est-ce pas la vocation première de l'artisanat de prendre soin des objets, de les réparer, de les maintenir en bon état de fonctionnement ? N'est-ce pas sa vocation d'utiliser les circuits courts dans son organisation de production et de distribution ? N'est-ce pas sa vocation d'être un modèle économique très pauvre en bilan carbone et très riche en utilisation des ressources locales ?

« Un autre rapport au travail et aux autres »

Enfin, avoir l'esprit artisan, c'est promouvoir toutes les formes d'intelligence et de talents. C'est s'engager pour développer des méthodes pédagogiques, comme l'apprentissage, qui aboutissent à consacrer la pluralité des excellences.

Depuis tant d'années, depuis trop d'années, on promet un développement de l'apprentissage mais force est de constater que l'on n'en finit pas de rester au niveau des promesses. Là encore, soyons artisans en nous rappelant que ce sont eux, au temps du compagnonnage, qui ont créé ce système original de formation et qui en ont assuré, au fil des siècles, la transmission.

Alors oui, souhaitons-nous un esprit artisan en ce début d'année 2016 car dans une société de la démesure et parfois exagérément immatérielle, ce serait impulser une autre voie dans le rapport au travail et dans le rapport aux autres…

Bref, une respiration humaniste dans un monde qui a tendance à manquer de souffle.

(1) Pascal Pellan est ex-directeur de la chambre des Métiers et de l'artisanat des Côtes-d’Armor.